Le 5 mars 1940, les membres du Politburo du Comité central du parti communiste de l’URSS, MM. Staline, Vorochilov, Mikoïan, Molotov, Kalinine et Kaganovitch signèrent le décret ordonnant la liquidation de 25’500 officiers, résistants et intellectuels polonais. Le 13 avril 1943, Radio Berlin annonçait la découverte de charniers à Katyn contenant les dépouilles de plus de 4’000 officiers polonais.
Les événements de Katyn sont marqués par l’horreur des faits qu’ils évoquent. Ils invitent à la réflexion sur la mémoire et la narration historique. De l’histoire désincarnée au récit des personnes confrontées à l’indicible, la marge est grande. Avec l’évocation des crimes commis à Katyn, l’histoire prend littéralement chair. Elle nous touche dans notre être le plus profond.
Katyn … un nom…Sans nom, il ne peut y avoir de mémoire, Sans mémoire il ne peut y avoir de récit, et sans récit, il n’y a pas de trace des événements passés. Avec le drame de Katyn et ses suites, on assiste à un macabre et sinistre ballet dans lequel se mêlent à la fois l’horreur, le choc des totalitarismes haineux, le mensonge, la falsification de l’histoire, les contraintes diplomatiques, les ambitions politiques et aussi, il faut le dire, les enjeux humanitaires.
Au cœur de la tourmente, un Genevois, le Professeur François Naville, directeur de l’Institut médico-légal de l’Université de Genève. Il se rendit en mission à Katyn fin avril 1943 après beaucoup de tergiversations de la part des autorités fédérales. Faut-il le rappeler, il fut le seul expert réellement neutre de la commission internationale qui expertisa les charniers. A son retour à Genève, les conclusions de son rapport vont semer le trouble dans les esprits et les consciences, à Genève, en Suisse et à l’étranger.
Pourquoi me direz-vous ? eh bien parce que la seule chose que François Naville, chercha au cours de ses travaux et qui guida son action fut la vérité. « Nous ne croyons pas que la vérité reste encore vérité quand on lui enlève ses voiles » soutenait Friedrich Nietzche. « Vérité dans un temps, erreur dans un autre » aurait pu répondre en écho Montesquieu. Cette vérité, fit trembler les politiques et les régimes pendant longtemps à l’est de l’Europe. Il fallut attendre les années 1990 à 1992 pour qu’enfin, la vérité à propos de Katyn, éclate au grand jour.
Pour François Naville, c’est pourtant de Genève que vinrent les attaques les plus brutales. Le Parti du Travail, par la voix du député au Grand Conseil Jean Vincent, attaqua Naville de façon violente, l’accusant d’avoir pactisé avec les Nazis. Pour la “gauche de la gauche” genevoise, il ne pouvait être question de laisser supposer que le massacre de Katyn soit le fait de l’irréprochable « grand frère » soviétique. Jean Vincent interpella le conseil d’Etat en septembre 1946 et dans sa réponse, le Conseil d’Etat prit la défense du professeur en soulignant son intégrité. Du côté américain, en 1952, l’affaire de Katyn rebondit en pleine guerre froide, le Congrès américain souhaitant recueillir la déposition du professeur. François Naville y donna suite malgré l’avis plus que mitigé des autorités fédérales.
Epilogue le jeudi 19 avril 2007, dans les salons genevois de la Mission permanente de Pologne auprès des Nations Unies où l’ambassadeur Zdzislaw Rapacki remettait à titre posthume à la famille du professeur François Naville la croix de commandeur de l’ordre pour le mérite. La Pologne témoignait ainsi sa reconnaissance à François Naville.
Claude Bonard
Sources et à lire :
Archives d’Etat de Genève : Dossier François Naville : AEG 1985 va 5.3.813
Delphine Debons, Antoine Fleury, Jean-François Pitteloud, Katyn et la Suisse, Katyn and Switzerland – Experts et expertises médicales dans les crises humanitaires 1920-2007 par Genève, Georg, 2009.
Viatteau Alexandra : Katyn La vérité sur un crime de guerre, Bruxelles, André Versaille éditeur, 2009.
Bonard Claude, notice, publiés dans « Quel est le salaud qui m’a poussé ? Cent figures d’Histoire suisse », sous la direction de Frédéric Rossi et Christophe Vuilleumier, Gollion, Infolio éditions, 2016.
Photo : Claude Bonard – Musée de Katyn, Varsovie