les cavaliers du 7e Régiment de Spahis Algériens franchirent la frontière suisse il y a 85 ans, le 19 juin 1940.
Quelques mois plus tard, sur territoire genevois, leur passage de Satigny à Veyrier constitua un singulier spectacle pour la population des villages traversés. En effet, les Spahis débarqués à la gare de Satigny prirent la route à pied, chevaux à la main, pour rallier Veyrier en passant par Lancy, Plan-les-Ouates, le Bachet- de-Pesay, Drize et Troinex. A Veyrier, ils franchirent la frontière en présence des autorités suisses et genevoises afin de se retrouver en zone libre.
Rappel des faits :
Le 19 juin 1940 le 45e Corps d’Armée français demanda à se faire interner en Suisse après avoir affronté la Wehrmacht au cours de violents combats dans un périmètre allant de Belfort à la frontière suisse. Parmi les troupes internées figurait le 7e Régiment de Spahis Algériens. Après s’être regroupés à Montfaucon, les Spahis prirent leurs quartiers dans le Seeland et dans les régions d’Estavayer et d’Yvonand. Le 20 janvier 1941, ils quittent la Suisse pour rejoindre la zone libre française via Veyrier.
525 hommes et 311 chevaux sont acheminés au moyen de deux trains jusqu’à la gare de Satigny. A leur arrivée, plusieurs officiels et officiers suisses les accueillent et gèrent cette situation exceptionnelle. Mon père, le premier-lieutenant Robert Bonard, était de la partie. Il m’a laissé un témoignage dont voici un extrait :
Par un matin de janvier 1941 sombre et gris, je me trouvais sur le quai de débarquement d’une gare du Mandement genevois. Il avait neigé les jours précédents et l’on pataugeait dans les flaques de neige fondante. Sur ce quai de gare et aux alentours du bâtiment lui-même régnait une activité inhabituelle pour cette petite bourgade bien tranquille et bien assise dans son vignoble. C’était là en effet la dernière halte sur territoire suisse d’un train duquel descendirent les Spahis internés du 45e corps français du général Daille. Sur le quai, un va-et-vient incessant de groupes de spahis tenant leurs chevaux par le licol, les menant à l’abreuvoir ou en revenant ; je crois me souvenir que le long du quai il y avait un camion avec du fourrage. Les Spahis allaient et venaient, s’occupant davantage de leurs bêtes que d’eux-mêmes. En les regardant, en examinant leur visage, leur allure, leur habillement, des d’images remontaient du fond de ma mémoire.(…) Mais en ce jour de janvier 1941, que reste-t-il de leur panache ? Des hommes transis, vêtus d’une capote kaki, de pantalons bouffants, portant en bandoulière une besace à la couleur délavée mais arborant toujours le chèche. Au milieu de tout ce mouvement, arpentant le quai, je remarque un groupe d’officiers et de civils, Français et Suisses. Parmi ceux-ci, le général Daille, commandant du 45ème C.A. Français. Il m’a laissé une impression de calme dignité. Grand, mince, il avait un visage d’ascète me faisant penser à celui d’un autre officier, écrivain celui-là, André Maurois. Son regard était empreint d’austérité et ce jour-là également de tristesse. (…) Les hommes et les chevaux sont maintenant tous débarqués. Le ciel est toujours gris et bas, il pleut et il règne une atmosphère de regrets et de tristesse. Que sont-ils devenus aujourd’hui, ces hommes au regard alors lourd et triste mais toujours fier ?...”
Claude Bonard
Illustration : Aquarelle signée Fritz Traffelet représentant des Spahis croqués sur le vif dans les Franches-Montagnes en 1940. Fritz Traffelet (1897–1954) était un peintre et illustrateur bernois très en vogue dans les années 30 et 40 qui a réalisé de nombreuses oeuvres dépeignant des scènes champêtres et surtout militaires au cours de la période du service actif. Il est également l’auteur de l’illustration du diplôme remis au nom des autorités fédérales à tous les citoyens suisses ayant servi sous les armes de 1939 à 1945. (Coll.CB)
Lire : Jean Plançon – Pierre Bosson – Jean-Denys Duriaux : Des Franches-Montagnes à Veyrier, retraite, asile et parcours en Suisse du 7e Régiment de spahis algériens de l’Armée française 1940-1941, Genève, édition de la Mémoire de Veyrier, septembre 2021, 197 p.