Bains de l’Arve en 1840, Albert Hentsch [CIG]
Sage-femme certainement, entrepreneuse, à l’évidence, aventurière, peut-être ! C’est le portrait que l’on pourrait brosser de Marie Anna Renard, connue à Genève à la fin du XIXe siècle sous l’appellation « Dame Renard ». Cette Française d’origine avait eu des démêlés avec la justice de son pays en 1859. A Paris, elle dirigeait alors une « villa d’accouchement » où elle admettait des femmes enceintes qui voulaient garder secrète leur grossesse. Et lorsque les enfants naissaient Marie Anna Renard se chargeait de placer ces derniers à l’Hospice des enfants assistés en toute discrétion, contre rémunération bien entendu. Or, une jeune mère s’était plainte à la justice puisque voulant récupérer son enfant, elle avait appris que celui-ci avait été « envoyé par l’administration en nourrisse à Rouen où le nourrisson était mort ». L’activité de Dame Renard dévoilée, elle fut jugée et condamnée à un an de prison[i] !
Et à sa sortie en 1860, l’accoucheuse avait décidé de quitter la capitale pour se rendre sous d’autres cieux, optant en l’occurrence pour Genève et plus particulièrement la commune de Vernier. Là, elle allait tenter de mettre en œuvre son savoir-faire et ouvrir à Château-Bloch une pouponnière, suscitant l’inquiétude de nombreuses personnes qui craignaient que cet établissement n’engendre des heimatloses qui se retrouveraient à charge de la commune ; une pression sociale suffisamment forte pour que le maire Louis Naville-Todd se décide à écrire au Conseil d’Etat pour lui faire part de la situation. Le gouvernement cantonal n’eut toutefois pas besoin de prendre de décision car Dame Renard ne pouvant satisfaire complètement ses créanciers fut forcée de fermer son établissement qui lui servait également de domicile et de s’installer en ville, à savoir aux Délices. Pourtant, elle n’avait pas été avare en annonces et autre publicités, faisant paraître à de nombreuses reprises dans la presse les prestations qu’elle entendait offrir à une clientèle qu’elle espérait sans doute fortunée :
« Mme Renard, de Paris, informe sa nombreuse clientèle qu’elle vient de fonder à Genève une maison de santé, de convalescence et de repos, et villa d’accouchement comme celle qu’elle a fondée et dirigée à Paris pendant vingt ans, et qu’en attendant l’ouverture du grand établissement hydrothérapique qu’elle organise, ainsi qu’une pouponnière modèle, elle recevra tous les jours les dames qui voudront bien la consulter… »[ii]. L’entrepreneuse avait repris exactement le modèle qu’elle avait développée quelques années plus tôt à Paris et qui avait fonctionné durant un temps[iii]. S’était-elle inquiétée des critiques dont elle était la cible, son projet n’avait-il pas rencontré le succès espéré, ou avait-elle simplement modifier ses plans en estimant plus lucratif un établissement thermal ? Les sources restent muettes. Quoi qu’il en soit, au début des années 1860, elle reprenait un ancien site organisé pour la baignade dans l’Arve – à l’extrémité de l’actuelle rue des Bains – qui s’était développé là au XVIIIe siècle et qui avait été reconstruit en 1849[iv]. Mme Renard ne se contentait en l’occurrence plus uniquement des femmes puisqu’elle dédiait son établissement à tous les publics en l’intitulant « Grand établissement hydrothérapique des bains de l’Arve ». Elle vit les choses en grand et fit exécuter des travaux pour établir des appareils hydrothérapiques, en ajoutant des bains russes, des bains turcs, des fumigations aromatiques Maillot,
une piscine d’immersion, en allant même faire électrifier l’ensemble. Offrant ses services aux femmes, elle ouvrait en outre son établissement aux médecins qui souhaitaient y donner des consultations[i].

Bains de l’Arve avant leur reprise par Mme Ranard, Charles Frédéric Baumann (1802-1856), dessinateur, Charles Gruaz (1807-1863), lithographe [CIG]
Un modèle d’établissement étrangement moderne qui allait perdurer plusieurs années[1]. Marie Anna Renard ne tarda pas à se marier à un dénommé E. Gaillard durant les années 1870[2], mais, en 1875, un nouvel établissement ouvrait ses portes plus en amont, lequel proposait une offre similaire mais autrement plus bourgeoise et qui allait rencontrer un succès certain permettant à ses promoteurs de bâtir un hôtel sur la colline. Dépassé rapidement par cette concurrence, les Bains de Mme Renard trop populaires périclitèrent progressivement malgré l’aide que sa belle-sœur vint lui apporter[3]. En 1887, un incendie devait en outre venir détruire partiellement le site, entraînant la reconstruction de l’annexe des Bains[4].
En 1896, alors que le « Grand établissement hydrothérapique des bains de l’Arve » disparaissait finalement avec la mise sur pied de l’Exposition Nationale qui allait occuper l’ensemble du périmètre, Mme Renard s’évanouissait par la même occasion.
Christophe Vuilleumier
[1] Journal de Genève, 02.04.1873.
[2] Journal de Genève, 09.08.1876 / 12.05.1888.
[3] Journal de Genève, 16.11.1888.
[4] AEG, Travaux A 104, Annexe 110, 1887. L’architecte Henri Juvet pour reconstruire l’annexe des Bains d’Arve de Mme Gaillard, détruite par un incendie, Plainpalais. Plan de situation, rez, coupe, élévation.
[i] Journal de Genève, 31.08.1869.
[i] Archives de Vernier.
[ii] Journal de Genève, 14.12.1860.
[iii] Lettre de Mme Renard annonçant l’ouverture d’un service d’hydrothérapie, RENARD (M.), Paris, villa d’accouchements et maison de santé pour dames. 1er novembre 1857, Paris, impr. de Dubuisson, 1857. Voir Nathalie Sage Pranchère, L’école des sages-femmes Les enjeux sociaux de la formation obstétricale en France, 1786-1916, thèse pour obtenir le grade de docteur, Université Paris-Sorbonne, Paris, 2011.
[iv] Association des intérêts de Plainpalais, Bulletin 13, 2011.