Ce qui se cache derrière une gravure

Claude Bonard
23 février 2025

10 février 1789 :

 » Le MC (Magnifique Conseil) est revenu à la salle basse de l’Hôtel de Ville, accompagné du même cortège qu’en allant à Saint-Pierre. Une foule immense de peuple remplissait les rues, de jeunes gens en uniforme très propre, précédés d’une nombreuse musique, tenant en main une longue guirlande de fleurs, ont formé une haye sur le passage du Conseil, et l’ont accompagné jusqu’à l’Hôtel de Ville, où étant arrivés quelques-uns d’entre eux se sont présentés devant Mrs les Syndics et ont chanté en choeur des couplets ».

(Registre des Conseils, AEG, RC 293 à la date du 10 février 1789).

L’artiste Christian-Gottlob Geissler ( 1729-1814) a représenté la scène dans sa gravure intitulée « Retour du Conseil Général tenu le 10 février 1789 ». La Musique Rouge, ancêtre du Corps de musique de Landwehr est rassemblée devant le portique de l’Hôtel de Ville dont tous les occupants sont aux fenêtres.

A propos de la Musique Rouge représentée avec beaucoup de détails par l’artiste, le Corps de musique de Landwehr en perpétue les traditions depuis deux cent quarante-deux ans. il s’agit du plus ancien Corps de musique de Suisse. Son origine remonte à 1783, année où le Conseil militaire de la République de Genève a décidé de doter le Régiment de la République (1783-1789) de fifres et tambours auxquels sont venus s’adjoindre 20 musiciens. Pourtant, c’est l’année 1789 qui est traditionnellement considérée comme étant celle de la création de l’Harmonie officielle de l’Etat de Genève. En effet, Les  troubles politiques de 1789 à Genève conduisirent à la dissolution du Régiment de la République dont les musiciens, fifres et tambours furent incorporés au sein de la Musique des Volontaires de la Milice bourgeoise. Les structures militaires de Genève furent à nouveau modifiées le 1er juin 1791 avec la transformation du Régiment des Volontaires en Légion genevoise.

Depuis cette époque, la population genevoise donnera à la Musique le surnom de Musique Rouge au vu de la couleur de la tenue des musiciens et cette appellation est encore utilisée aujourd’hui, en dépit du fait que les tenues historiques portées par le Corps de musique de Landwehr sont « bleu-de-ciel », selon l’ordonnance militaire cantonale du 5 septembre 1818.

L’histoire ne s’arrête pas là. En décembre 1792, les autorités genevoises sont renversées et l’égalité politique est proclamée pour toutes les classes de la population. En 1796, la révision de la Constitution genevoise de 1794 confirme un nouveau changement dans l’organisation militaire genevoise, la Légion genevoise devenant, à l’instar de la France voisine, une Garde nationale.

A l’issue de la période de la Genève française (1798-1813), la Garde nationale reprend la cocarde genevoise et devient Garde genevoise, toujours avec son Corps de musique. C’est alors la période charnière qui conduit l’ancienne République de Genève libérée et restaurée à solliciter son adhésion à la Confédération suisse.

La Confédération se dote le 20 août 1817 d’un Règlement militaire général qui trouve son prolongement à Genève le 14 févier 1818 avec la promulgation de la Loi sur la milice qui organise la milice cantonale en districts. Compte tenu du fait que les musiques militaires ne sont pas légion à Genève, les membres de la Musique Rouge constituent l’ossature de la nouvelle musique du 1er district.

Cette organisation se perpétue jusqu’en 1839 avec l’adoption, le 3 avril, d’une nouvelle loi sur la milice du canton qui prévoit que celle-ci est composée de deux classes, à savoir le contingent, comprenant les corps destinés à fournir à la Confédération les effectifs militaires qu’elle exige, ainsi qu’une réserve cantonale.

Concernant les musiques militaires de la République et canton, la nouvelle loi prévoit trois phalanges. Un corps de musique dit du contingent est créé. Cette formation deviendra plus tard le Corps de musique d’Elite. Deux corps de musique sont attribués à la Réserve, lesquels seront fusionnés après quelques années. A partir de l’année 1845, les contrôles militaires portent l’appellation d’origine allemande de Corps de musique de Landwehr, désignant les unités de la réserve, qui remplace définitivement celle de 1er Corps de musique.

Dès 2015 de grands changements s’opèrent. L’Etat de Genève ne compte plus qu’une musique officielle. le Corps de musique d’Elite étant supprimé. Il va toutefois revivre au sein des Exercices de l’Arquebuse et de la Navigation sous l’appellation Brass Band Arquebuse Genève. Le Corps de musique de Landwehr connaît une révolution copernicienne, devenant l’Orchestre d’harmonie de l’Etat de Genève (OHGe). Une formation comportant d’environ soixante musiciens dont plusieurs professionnels et étudiants de la Haute école de musique de Genève (HEM). Soucieux de se démarquer des autres ensembles et cherchant sans cesse l’originalité, l’OHGe propose depuis lors des projets musicaux ambitieux et insolites. La première création de ce type fut METROPOLIS, le chef-d’œuvre de Fritz Lang, film muet produit dans les studios Babelsberg à Berlin en 1927. Le film fut projeté sur grand écran et la musique originale de Gottfried Huppertz interprétée en live.

La gravure de Christian-Gottlob Geissler constitue le seul témoignage décrivant l’uniforme des hommes du Régiment de la République créé en février 1783, nouvelle garnison soldée suite aux troubles de 1782. Il ne se doutait pas alors que son oeuvre fut déterminante afin de dater très exactement la création du plus ancien corps de musique de Suisse.

Claude Bonard

Sources :

AEG, Conseil Militaire, A1 à A40.

Archives du Corps de musique de Landwehr.

Bonard Claude : Histoire du Corps de Musique de Landwehr 1783-1789-1989, Genève, 1989.

Fornet Jacques : Le Conseil Militaiore et le Régiment de la République 1782-1789, Genève, dactylographié, 1972. Mémoire de licence, Faculté des Lettres.

Illustration, détail : Cliché BPU cote G 361. (d.r.)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chargement du capcha...