Ce que l’on appelle depuis le 1er février 1834 à Genève « L’Affaire des Polonais » témoigne du fait que la révolution polonaise de 1830-1831 a eu des répercussions politiques importantes à Genève.
A partir de 1830, dans toute l’Europe, des mouvements insurrectionnels désireux de promouvoir les idées libérales font trembler les souverains conservateurs qui règnent en Europe depuis le traité de Vienne de 1815. En Pologne, en novembre 1830, les patriotes se soulèvent et chassent le grand-duc Constantin, frère du Tsar de Russie Nicolas 1er de son palais de Varsovie. La révolte gagne l’ensemble du pays. Après l’échec de l’insurrection de 1830-1831, de nombreux Polonais trouvent refuge dans l’Est de la France. Certains d’entre eux forment le projet de passer par la Suisse pour aller aider les libéraux allemands. Plusieurs centaines de Polonais en provenance de Besançon, Salins, Vesoul, Luxeuil et Dijon se mettent en marche. A la suite de l’échec du soulèvement de Francfort, ces détachements polonais restent bloqués en Suisse. Les autorités fédérales craignent les réactions des Etats allemands de Bade, du Wurtemberg et de la Bavière. La Confédération tente aussi de négocier le retour des Polonais en France.
C’est là qu’entre en scène le patriote/conspirateur Giuseppe Mazzini (1815-1872), chef du mouvement « Jeune Italie » arrivé à Genève au cours de l’été 1833. Vers la fin du mois de septembre 1833, Mazzini conçoit un plan visant à attaquer la Sardaigne depuis Genève afin de renverser le roi Charles-Albert. Pour arriver à ses fins Mazzini recrute sa troupe au sein des réfugiés italiens, des libéraux allemands émigrés, de Français anti-royalistes et bien sûr au sein des Polonais restés en Suisse, notamment dans la partie francophone du canton de Berne. L’opération militaire imaginée par Mazzini est conduite par Gerolamo Ramorino, officier et aventurier ayant participé à l’insurrection de Pologne. Ramorino arrive à Genève le 30 janvier 1834 alors que les Polonais du canton de Berne sont déjà en route pour le rejoindre.
Le samedi 1er février 1834, vers 8h.du matin, les Polonais prennent le large après avoir trompé la vigilance des gardes du port de Nyon. Leur barque doit se diriger sur Thonon afin d’y opérer une jonction avec une colonne commandée par Ramorino mais rien ne se passe comme prévu. L’embarcation dérive et accoste à la Belotte, en territoire genevois. Grâce à la vigilance de la police dûment avertie par ses indicateurs, les autorités genevoises ne sont pas prises au dépourvu. Les Polonais sont arrêtés et conduits à la Capite et à Vésenaz. Vers 20h00, ils sont réembarqués et expulsés de force à destination du canton de Vaud.
La barque contenant les armes des Polonais est finalement amarrée au port du Molard. A la tombée de la nuit, le bateau est pillé. Des manifestants jettent des pierres aux soldats de la milice dont certains quittent les rangs sous les applaudissements de la foule qui manifeste en faveur des insurgés polonais. Presque au même moment, près de Carouge, un autre détachement de Polonais et d’Italiens se met en mouvement. Une proclamation datée du 1er février, écrite à Saint-Julien par Mazzini annonce la libération de la Savoie. Les insurgés progressent par Annemasse et Ville-la-Grand. Des accrochages ont lieu lorsqu’ils tentent de franchir l’Arve. Les douaniers d’un poste situé près d’Annemasse ouvrent le feu. La population surprise, reste passive et ne fournit aucun appui aux « pseudo-libérateurs ». L’opération se solde par un échec. Seuls quelques Polonais veulent encore se battre. Ce qui reste de la troupe reflue sur la frontière genevoise. Les fuyards sont arrêtés et désarmés par la milice genevoise à Cara, Puplinge et dans le secteur de Chêne – Thônex.
« L’Affaire des Polonais » est révélatrice du climat politique ambiant à Genève. La pression insurrectionnelle qu’elle suscite et l’échauffement des esprits qui en découle entre conservateurs et démocrates constitue un signe avant-coureur qui annonce les crises politiques de 1841 et 1842 qui culmineront avec la révolution de 1846. La droite conservatrice effrayée par les rapides progrès de l’esprit démocratique trouve en face d’elle des adversaires politiques libéraux dont l’aile gauche va devenir le creuset du radicalisme naissant.
Sources :
Archives d’Etat de Genève : Voir cote AEG Etrangers L-19.
Ce « Registre de la police – Etrangers » relatif à la période allant du 1er janvier 1832 au 1er juin 1837 conservé aux Archives d’Etat compte 190 inscriptions de Polonais ayant, pour la plupart, pris part à l’expédition manquée contre la Savoie.
Burgy Etienne : L’affaire des Polonais de février 1834 à travers les brochures genevoises de l’époque, in « Recueil anniversaire pour Jean-Daniel Candaux – C’est la faute à Voltaire C’est la faute à Rousseau », Genève, 1997, Droz S.A., pp.559 à 572.
Burgy Etienne : Les sources imprimées de la Restauration genevoise, 31 décembre 1813 – 8 octobre 1846. Catalogue chronologique. Genève, Société d’Histoire et d’Archéologie de Genève, 1998, 874 p. Voir Index, Affaire des Polonais. Dix-neuf documents relatifs à l’affaire des Polonais couvrent une période allant du mois de janvier au mois d’août 1834.
Bonard Claude : L’Affaire des Polonais a agité Genève en 1834. Passé simple, mensuel romand d’histoire et d’archéologie, No 3 – 2015.
Claude Bonard
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Illustration : AEG : Extrait d’une affiche publiée par les Syndics au moment de « L’Affaire des Polonais ». Photo CB