L’historien Thomas Dodman, témoin de l’arbitraire

Christophe Vuilleumier
20 mars 2025

L’AEHR a reçu un texte de l’historien franco-britannique Thomas Dodman, professeur associé à l’Université de Columbia (New York), que ce dernier a fait paraître dans le Journal quotidien en ligne « AOC » le 19 mars 20251. https://aoc.media/opinion/2025/03/18/depuis-columbia-university-journal-dune-dictature/

Thomas Dodman [https://french.columbia.edu/content/thomas-w-dodman]

Témoin de la montée de l’autoritarisme du gouvernement américain actuel, Thomas Dodman a décidé de relater la réalité quotidienne qu’il vit à l’intérieur de l’Université de Columbia, à New York, que l’on perçoit comme une succession d’évènements arbitraires, anxiogènes, agressifs et particulièrement choquants orchestrés par l’administration Trump. Solidaires de nos collègues historiens et scientifiques américains, nous republions le texte de Thomas Dodman intitulé:

Depuis Columbia University, journal d’une dictature

« Vendredi 7 Mars
La nouvelle tombe dans l’après-midi : le gouvernement
supprime 400 millions de dollars de subventions à
l’Université de Columbia. On s’y attendait, étant depuis
longtemps dans le collimateur des Républicains et de leur
plan de gouvernance Project 2025. On ne s’attendait pas à
une telle somme : un tiers des financements publics que
reçoit l’institution (privée, certes, mais dont le budget
opérationnel repose pour un quart environ sur des fonds
fédéraux). Cet argent finance essentiellement des
programmes de recherche et des bourses dans les sciences
naturelles et médicales.

Le prétexte pour les suppressions est simple : Columbia ne
fait pas assez pour protéger ses étudiants juifs contre
l’antisémitisme sur le campus. En effet, l’obtention des fonds
publics est liée au respect de normes antidiscriminatoires
mises en place par le Civil Rights Act suite au mouvement
contestataire lors des années 60. L’ironie est cruelle : un
gouvernement ouvertement anti-diversité se sert de lois
visant à protéger les minorités dans sa croisade contre
l’université et le multiculturalisme que celle-ci promeut à ses
yeux. Il n’empêche, ces mesures prises par l’administration
Trump sont illégales, dans la mesure où elles sont décidées
arbitrairement, en amont d’une procédure administrative et
d’une enquête qui pourrait éventuellement décider si oui, ou
non, il y a eu entrave et donc sanction justifiable.

Si le gouvernement se place d’emblée hors-la-loi et décide
de passer en force, c’est qu’il tient depuis un an
l’administration de Columbia par la gorge avec cette histoire
d’antisémitisme. L’an dernier, l’alors présidente Minouche
Shafik s’est pliée en excuses devant une commission guetapens
au Congrès, concédant le terrain du débat idéologique
et laissant s’installer l’idée que des étudiants qui protestent
pacifiquement contre le bombardement de civils à Gaza
soutiennent nécessairement le Hamas (pour faire preuve de
bonne volonté elle les fait arrêter par la police, là aussi courtcircuitant
les règles internes de gestion de la vie universitaire). Face à l’annonce du gouvernement, sa successeure par intérim, Katrina Armstrong, qui pourtant essaye depuis septembre d’apaiser les esprits en renouant
le dialogue sur le campus, emboîte le pas : Columbia va
redoubler d’efforts contre l’antisémitisme et coopérer avec
le gouvernement, écrit-elle au soir à toute la communauté.

Samedi 8 mars

Journée apparemment calme ; courses du samedi au
marché, ménage, copies à corriger, cours à préparer, livre à
écrire. Un semblant de routine. On se dit que 400 millions, ça
va faire mal, mais qu’une université assise sur un fonds
d’investissement de plus de 15 milliards de dollars – même
s’ils sont pour la plupart bloqués – saura s’en sortir.

C’est la nuit tombée que tout bascule, que le régime montre
ses couleurs. Les portables s’allument, affichent des
messages alarmants : il y a des agents de l’ICE (United
States Immigration and Customs Enforcement, la police des
frontières créée après les attentats du 11 septembre) dans
les dortoirs. Ils sont en civil mais armés, n’ont pas de mandat
d’arrêt et déjouent les vigiles de la sécurité pour pénétrer
dans des résidences en marge du campus. Ils agissent dans
l’illégalité, montent dans les étages, cherchent des

étudiants. Combien sont-ils ? Qui cherchent-ils ? Combien de
personnes arrêtent-ils ? Le doute me saisit : les deux types
louches qui sont venus à la toute fin d’une projection sur la
révolution soudanaise que j’animais jeudi soir, restant à
peine dix minutes, rivés à leurs téléphones et oreillettes, et
s’éclipsant alors que je m’apprêtais à leur demander ce
qu’ils faisaient là – qui étaient-ils ? La nuit sera longue, la
peur gagne les esprits.

Dimanche 9 mars
La nouvelle tombe dans la matinée : ils ont ravi Mahmoud
Khalil hier soir, lorsqu’il rentrait chez lui, dans une résidence
universitaire, avec sa femme après l’iftar, la rupture du
jeûne. Deux hommes l’interpellent dans le hall de son
immeuble, le menottent, lui disent qu’un juge a révoqué son
visa (alors qu’il a une carte verte), l’emportent de force
devant les yeux de sa femme, enceinte, qui filme les
derniers instants de la scène. Mahmoud Khalil disparaît dans
la nuit. Vers 4h du matin il est dans un centre de détention
de l’ICE dans le New Jersey. Mais quand sa femme s’y rend
pour essayer de le retrouver, on lui explique qu’il n’est plus
là. Son avocat non plus ne sait pas où il est. Mahmoud Khalil
a disparu.

Aucun mandat d’arrêt n’a été émis contre lui ; il n’est accusé
de rien ; le gouvernement l’a ravi.

Mahmoud Khalil est coupable par avance car il est l’un des
porte-paroles du mouvement étudiant en soutien à la
population gazaouie qui manifeste sur le campus de
Columbia depuis octobre 2023. Il ne cherche pas à se
cacher, se retrouve régulièrement à la table des
négociations avec l’administration universitaire. Il n’a
d’ailleurs rien à se reprocher : on ne lui connaît aucun propos
injurieux et s’il est dans les campements solidaires qui
s’installent sur le campus en avril 2024, réclamant que
l’université se désinvestisse d’entreprises qui financent la
guerre à Gaza, il ne participe pas à l’occupation de Hamilton
Hall.

Pourtant, il subit depuis une campagne de diffamation en
ligne et sur la voie publique, où un camion circule dans le quartier affichant sur un écran géant son visage, parmi
d’autres, avec l’inscription « Antisémite » (une pratique de
délation nommée « doxing »). Il se sait suivi et surveillé,
sollicite à plusieurs reprises l’aide et la protection de
l’administration universitaire. Depuis plusieurs jours des
agitateurs, parmi lesquels Shai Davidai, professeur à la
Business School de Columbia, réclament ouvertement sur
les réseaux sociaux son arrestation et sa déportation.

Mais le déporter où, au fait ? Mahmoud Khalil est né dans un
campement de réfugiés palestiniens en Syrie. Sa famille
vient de la région du lac de Tibériade, d’où elle a été
expulsée manu-militari avec 750 000 autres palestiniens lors
de la Nakba de 1948. Il est marié à une citoyenne
américaine, est un résident permanent aux États-Unis. Il est
chez lui, ici. En décembre dernier, je l’écoute chanter dans
une chorale, fraîchement diplômé, fez sur la tête et sourire
aux lèvres. Dans un mois il sera papa.

Lundi 10 mars
Mahmoud Khalil a été transféré dans la nuit vers un centre
de détention de l’ICE en Louisiane, à plus de 2000 km de
New York. Son avocat réussit enfin à lui parler au téléphone.
Le gouvernement s’explique enfin sur ses actions : Khalil «
mène des activités alignées sur le Hamas, un groupe
terroriste », et va donc avoir sa carte verte révoquée. C’est
absolument faux, mais le secrétaire d’État, Marco Rubio,
invoque un alinéa méconnu de l’Immigration and Nationality
Act (INA) de 1952, qui autorise le gouvernement à déporter
tout immigré légal dont l’action « pourrait avoir des
conséquences adverses sur la politique étrangère des États-
Unis ». Nouvelle ironie : cette loi a été mise en place en plein maccarthysme et vise alors des intellectuels juifs ayant fui le
nazisme mais dont on se méfie des sympathies prosoviétiques…
Avec son élégance habituelle, le président

Donald Trump ironise aussi, postant sur son compte X une
photo de Mahmoud Khalil et l’inscription : « Shalom
Mahmoud », comme à vouloir faire un cadeau à son grand
ami Benyamin Netanyahou. « Il y en aura d’autres », ajoute
le 47e président de la plus ancienne démocratie au monde.

Université de Columbia [Domaine public]

À Columbia, un vent de panique sur le campus : de
nombreux étudiants ne veulent plus venir en cours,
craignant pour leur sécurité. Nombre d’entre eux ont
manifesté, ou alors sont ici sur des visas. Les questions
s’empilent : les agents de l’ICE ont-ils le droit de pénétrer sur
le campus sans mandat ? (Non.) Que vaut ma propre carte
verte ? Que fait l’université pour nous protéger ? Pourquoi les
communiqués de la présidence ne mentionnent-ils pas le
nom de Mahmoud Khalil ? Ne fallait-il pas le protéger, lui
aussi ?Pourquoi et comment coopérer avec un
gouvernement qui se place ouvertement hors la loi ?

Au soir, surprise : un juge de l’État de New York bloque la
déportation de Mahmoud Khalil, sommant le gouvernement
de s’expliquer de ses actions. Une double bataille légale
s’ouvre alors. Sur le fond de la question, entre d’un côté le
Premier Amendement de la Constitution, qui garantit la
liberté de parole à toute personne sur le sol américain, et
donc protège les opinions politiques de Mahmoud Khalil
(comme, par ailleurs, celles de tous ceux qui l’accusent sans
fondement d’antisémitisme) ; et « l’opinion personnelle » du
secrétaire d’État, dont dépend l’ouverture de la procédure
de déportation prévue par l’INA. Et sur le lieu où la question
sera tranchée, le juge et l’avocat de Mahmoud Khalil réclamant son retour à New York, pour que son cas soit examiné là où il a été ravi, alors que le gouvernement souhaite que cela se fasse en Louisiane, lieu de sa détention et où les tribunaux sont acquis aux Républicains.
La crise va vite devenir constitutionnelle.

Mardi 11 mars
La société civile se mobilise : à l’appel de nombreuses
associations dont l’Union américaine pour les libertés civiles
(ACLU), une grande manifestation a lieu devant les locaux du
ministère de la Justice à New York, réclamant la libération de
Mahmoud Khalil.

À Columbia, des professeurs organisent une conférence de
presse dénonçant l’action des agents de l’ICE et implorent le
conseil d’administration de l’Université de réagir plus
vigoureusement que par des communiqués évasifs. L’accès
au campus, verrouillé depuis plus d’un an, est limité à trois
points d’accès afin de redistribuer les vigiles dans les
dortoirs dont il faut sécuriser l’accès. Il faut protéger nos
étudiants des forces du désordre. Les réunions de crise
s’enchaînent. Impossible de faire cours. On passe nos
journées à essayer de rassurer les étudiants, se rassurer soimême,
parler aux journalistes pour expliquer ce qui se
passe.

Dans un petit rassemblement d’étudiants qui manifestent en
silence contre les raids des agents fédéraux, on lit sur une
pancarte : « Spring is coming, ICE will melt ».

Mercredi 12 mars
Uptown, au centre médical de l’université, les premiers avis d’arrêts de travail et de cessations de paiement ont commencé à tomber loin des caméras. Des centaines de chercheurs dont les laboratoires ont perdu les financements fédéraux sont sommés d’interrompre leurs travaux, de rentrer chez eux. Pour les plus précaires, ceux qui ne
pourront payer leur loyer à la fin du mois, c’est la fin de leurs
carrières. En quelques jours, le National Institute of Health
(NIH) a annulé 232 subventions qui irriguent la recherche
médicale à Columbia. Des instituts entiers, comme le grand
Centre de recherche contre le cancer, cessent de
fonctionner. Des gens vont mourir.

La nouvelle commence à circuler dans la journée : le
gouvernement prépare un nouveau travel ban comme celui
de 2017, suspendant totalement ou partiellement l’octroi de
visa aux ressortissants d’une quarantaine de pays.
Impression de déjà vu, en pire.
Lui n’a jamais peur du pire : dans une conférence de presse à
la Maison Blanche, le président Trump explique que le
sénateur démocrate Chuck Schumer « n’est plus un Juif. Il
est devenu un Palestinien ». Les lignes de partage sont
claires.

Jeudi 13 mars
La journée commence mal et sera longue.
L’université annonce l’issue des procédures disciplinaires
prises à l’encontre d’étudiants impliqués dans l’occupation
de Hamilton Hall au printemps dernier. Les sanctions sont
lourdes, allant de suspensions de longue durée et la
révocation temporaire de diplômes à l’exclusion pure et
simple. L’université ne fournit pas plus de détails, mais on parle d’une vingtaine d’étudiants sanctionnés, dont le
président du syndicat des étudiants doctorants (avec lequel
l’administration doit, comme par hasard, ouvrir les
négociations pour une nouvelle convention collective dans
les jours à venir). Les appels de la présidence à l’union
sonnent creux. L’impression est que Columbia sacrifie à
nouveaux ses étudiants sur l’autel du gouvernement.

Mais l’ogre de Washington est insatiable et dans la soirée il
assène un nouveau coup : une lettre en forme d’ultimatum à
l’université, lui intimant de se conformer à neuf mesures
avant mercredi 19 comme préalable à toute négociation sur
les coupes des financements publics (coupes illégales et que
l’université peut contester au tribunal). Parmi celles-ci,
l’université doit sanctionner tous les manifestants sans
passer par un conseil de discipline, interdire le port de
masques et autres façons de se couvrir le visage (avec un
keffieh, par exemple), surveiller toutes associations
étudiantes considérées comme dangereuses, aligner sa
politique d’admission sur les critères du gouvernement,
adopter une définition de l’antisémitisme qui fait
explicitement l’amalgame avec le sionisme et avec toute
critique de la politique de l’État d’Israël, et enfin mettre sous
tutelle administrative le département d’études proches-orientales
et africaines. C’est une attaque sans précédent à

la liberté académique. Une ingérence encore une fois
manifestement illégale.

Ce qui n’empêche pas des agents du ministère de l’Intérieur
de faire irruption à nouveau dans les dortoirs la nuit tombée
à la recherche d’étudiants étrangers. Cette fois ils sont
munis de mandats d’arrêt. Ils ne trouvent pas ce qu’ils
cherchent, car de nombreux étudiants ont fui chez des amis, pour se mettre en sécurité. La peur vide le campus à la veille
du spring break, semaine de vacances en temps normaux.
(On ne le sait pas encore, mais à l’aéroport international de
Boston, Rasha Alawieh, professeur et médecin à Brown
University, dans le Rhode Island, passe la nuit et les
prochaines trente-six heures en détention sans explications
suite à un déplacement familial au Liban. Malgré l’ordre d’un
juge fédéral de ne pas le déporter, son visa est révoqué et il
est embarqué de force sur un avion pour Paris dimanche
matin.)

Vendredi 14 mars
C’est au grand jour et dans l’État voisin du New Jersey que
des agents arrêtent une seconde étudiante, elle aussi
palestinienne, Leqaa Kordia. Elle a déjà été arrêtée l’an
dernier lors des manifestations sur le campus. Son visa
étudiant lui a été révoqué depuis. Une troisième étudiante,
Ranjani Srinivasani, d’origine indienne, échappe aux
autorités et s’enfuit au Canada. Leur faute à elles aussi :
avoir des opinions politiques que le gouvernement
n’approuve pas.

Toujours aussi fin, le président Trump clôt la semaine avec un
autre tweet : « Shalom Columbia », se félicite-t-il, saluant le
travail de sa nouvelle « task-force pour combattre
l’antisémitisme ».

Dans les livres d’histoire, la mise en place d’un régime se
déroule à la lumière de l’enquête scientifique, avec
l’inéluctabilité d’un récit dont on connaît l’issue. On aligne
les preuves, on souligne les moments clés, on identifie l’erreur fatale et l’instant critique où tout bascule. On est
soulagé de pouvoir se dire que ce n’est pas nous. Vivre cela
en direct est une expérience différente, schizophrène, où le
quotidien continue alors que tout commence à chavirer,
mais hors-champ, dans l’attente d’une notification, la peur
de l’inconnu. Le temps devient une notion relative, un
présent constant, épais et oppressant, dont on ne voit plus
l’issue. Les Allemands comprenaient-il ce qui leur arrivait en
1933 ? Sans doute pas plus que nous ne savons ce qui nous
attend demain.

Mais deux choses sont claires au bout de cette semaine.
La croisade idéologique que mènent depuis longtemps les
Républicains contre les universités américaines – « les
universités ce sont l’ennemi » disait le futur vice-président J.
D. Vance, un diplômé de Yale, déjà en 2021 – est devenue
une guerre réelle, une attaque frontale qui vise tout
simplement à les soumettre, voire à les briser. Après avoir
conquis les leviers du pouvoir politique et infiltré le judiciaire,
coopté les grandes fortunes ainsi qu’une grande partie des
médias et des réseaux sociaux ; ayant commencé à
éviscérer les agences fédérales pour le climat et la santé, et
des administrations dont dépendent des millions d’américains et de gens à travers le monde ; et ayant ouvert

la chasse aux immigrés, aux transgenres et autres minorités
visibles, même aux mots suspects de « wokisme » qu’ils ne
veulent pas entendre dans les salles de classe (plus de deux
cents, parmi lesquels on trouve « racisme », « injustice »,
mais aussi « femmes enceintes », « pronoms », même «
historiquement »…) – les Républicains s’en prennent
désormais à l’un des derniers bastions de la pensée libre
dans le pays.

Leur cheval de Troie dans cette attaque, le fil rouge qui relie
les coupes budgétaires aux arrestations criminelles et les
tweets nauséabonds de Trump, c’est ce gigantesque canular
d’un antisémitisme systémique à Columbia et plus en
général dans le monde universitaire. La question n’est pas
de savoir s’il y a eu des actes ou propos à caractère
antisémite à Columbia ; bien sûr qu’il y en a eu, comme
ailleurs, pas plus qu’ailleurs, et sans doute moins qu’ailleurs
(dans l’écrasante majorité des cas, c’est d’un vague

sentiment d’insécurité dont il a été question, non pas de
danger ou d’agressions réelles). Il est peut-être utile de
rappeler ici que Columbia est une des universités les plus
prisée par les étudiants juifs, qui comptent pour pas moins
d’un quart de la population étudiante sur le campus. Par
ailleurs, le mouvement de soutien à la population gazaouie
est parti d’associations étudiantes juives, entre autres. Et
pourtant, l’image d’un campus antisémite s’est installée
dans les esprits. Pourquoi ?

Le cynisme avec lequel des Républicains qui ne cachent plus
leurs saluts nazis ont instrumentalisé l’antisémitisme pour
retourner des lois antidiscriminatoires contre ceux qui luttent
contre ces mêmes discriminations est sidérant, mais pas
surprenant. Ce qui reste à comprendre, c’est comment on a
pu les laisser faire, comment certaines personnes ont pu
être aussi dupes de leurs intentions. Comment
l’administration universitaire a pu céder d’emblée le terrain
sur cette question l’an dernier, se pliant mainte fois aux
intimidations, avalant l’accusation infondée par le biais
d’une commission d’enquête interne inadéquate et
complaisante, pratiquant constamment deux poids deux
mesures face au désarroi d’étudiants israéliens et palestiniens, et ne trouvant rien de mieux que d’appeler la

police pour faire arrêter ceux d’entre eux qui demandaient à
ce que leurs frais de scolarité ne financent plus les bombes à
Gaza. Il faudrait savoir pourquoi tant de médias ont, à leur
tour, alimenté cette image d’étudiants pro-terroristes,
déformant leurs propos pour délégitimer leur cause,
légitimant à contrario des campagnes massives de
surveillance, d’intimidation, de diffamation et de délation
publique dont sont victimes depuis plus d’un an étudiants et
professeurs – dont de nombreux juifs – à Columbia. Enfin, il
faudrait que tous ceux qui ont permis à ce mensonge de
s’installer se rendent compte de leur aveuglement et de leur
complicité involontaire avec ce qui se passe aujourd’hui à
Columbia (et demain ailleurs, sans doute). Il n’est peut-être
pas trop tard pour que la grande abdication morale des

derniers dix-huit mois ne devienne aussi une abdication de
la démocratie.

Shalom Mahmoud.
Shalom Columbia.
Mais « shalom », ça veut surtout dire « paix » en hébreu. Il
est grand temps de s’en rappeler et d’arrêter cette
instrumentalisation insensée de l’antisémitisme derrière
laquelle le régime se met en place.


Thomas Dodman
Historien, Professeur à l’Université de Columbia
« 

1 Nous remercions AOC media pour sa compréhension.

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